Nous sommes en août 2025. Le Festival de Cannes, avec son glamour, ses chefs-d’œuvre et ses controverses, a connu bien des scandales au fil de son histoire. Pourtant, peu ont laissé une empreinte aussi profonde et un malaise aussi palpable que celui qui a éclaté en 2019. Au cœur de cette tempête médiatique : un film, Mektoub, My Love: Intermezzo ; un réalisateur, Abdellatif Kechiche, Palme d’Or quelques années plus tôt ; et une jeune actrice, Ophélie Bau, propulsée malgré elle en symbole d’un débat houleux sur les limites de l’art, le consentement et le pouvoir dans le cinéma.
Six ans après, la poussière est retombée, mais les questions soulevées par cette affaire restent d’une actualité brûlante. La polémique a non seulement scellé le destin d’un film maudit, mais a aussi marqué un tournant dans la carrière d’une actrice et dans la prise de conscience du milieu du cinéma français à l’ère post-#MeToo. Cet article propose une rétrospective complète de cette affaire qui a secoué la Croisette, pour comprendre les faits, analyser les conséquences et rendre hommage à la résilience d’Ophélie Bau.
Chapitre 1 : L’Éclosion d’une Révélation

Avant de devenir le visage d’une controverse, Ophélie Bau a d’abord été l’une des plus belles révélations du cinéma français. Son histoire avec le réalisateur Abdellatif Kechiche a commencé comme un conte de fées pour une jeune actrice.
Avant le Scandale, la Promesse
Originaire de Besançon, rien ne prédestinait Ophélie Bau à une carrière d’actrice. C’est sa fraîcheur, son naturel et sa beauté solaire qui ont séduit Abdellatif Kechiche. Le réalisateur, connu pour son talent à dénicher de nouvelles pépites et à les révéler au grand jour (comme il l’avait fait avec Sara Forestier dans L’Esquive ou Adèle Exarchopoulos dans La Vie d’Adèle), lui offre son premier grand rôle.
Mektoub, My Love: Canto Uno (2017) : Une Entrée Lumineuse
En 2017, le public découvre Ophélie Bau dans le premier volet de la trilogie, Mektoub, My Love: Canto Uno. Elle y incarne Ophélie, une jeune femme libre et sensuelle, profitant de l’été à Sète. Le film, baigné de lumière et de musique, est une célébration des corps et du désir. La performance d’Ophélie Bau est unanimement saluée. Son naturel et son charisme crèvent l’écran. Cette performance lui vaut une nomination pour le César du Meilleur Espoir Féminin en 2019. Elle est alors perçue comme la nouvelle muse de Kechiche, une actrice promise à un grand avenir.
Une Collaboration Basée sur la Confiance ?
À l’époque, la collaboration entre le réalisateur et sa jeune actrice semblait basée sur une confiance mutuelle. La “méthode Kechiche”, qui consiste à filmer pendant des heures pour capter des moments de vérité, exige un abandon total de la part des acteurs. Ophélie Bau, comme d’autres avant elle, semblait avoir pleinement adhéré à cette vision. Personne ne pouvait alors imaginer que cette même méthode allait conduire au scandale deux ans plus tard.
Chapitre 2 : Cannes 2019 – La Projection de Tous les Dangers
Le 23 mai 2019, sur la Croisette, l’attente est immense. Abdellatif Kechiche présente en compétition officielle la suite de sa saga, Mektoub, My Love: Intermezzo. Ce qui devait être un événement cinématographique va se transformer en l’un des plus grands malaises de l’histoire du Festival de Cannes.
La Scène qui Fait Basculer le Festival
Le film, d’une durée de près de quatre heures, est radical. Une grande partie de l’œuvre est consacrée à une longue scène de fête en boîte de nuit. Mais c’est une autre séquence qui va provoquer le scandale. Pendant près d’un quart d’heure, la caméra de Kechiche filme en plan fixe une scène de cunnilingus, présentée comme non simulée, dans les toilettes du club. La scène, par sa durée, son réalisme cru et son caractère apparemment non-consenti filmé, a été perçue par une grande partie de la salle comme une séquence pornographique et voyeuriste, dénuée de toute justification narrative.
Le Malaise dans la Salle : Huées et Départs
La réaction dans le Grand Théâtre Lumière est immédiate. Un sentiment de malaise profond s’installe. Des dizaines de spectateurs, choqués, quittent la salle. Des huées et des cris d’indignation fusent. Les critiques de cinéma, habitués aux œuvres provocatrices, sont eux-mêmes décontenancés. La projection vire au fiasco.
Le Geste Silencieux d’Ophélie Bau
Mais l’image la plus forte de cette soirée n’est pas sur l’écran, mais dans la salle. Ophélie Bau, présente pour la projection, est visiblement bouleversée et en larmes. Accompagnée d’autres acteurs du film, elle quitte la salle avant la fin de la projection et avant que les lumières ne se rallument.
Ce geste, bien que silencieux, est d’une puissance inouïe. En refusant d’assister à la fin de son propre film et de monter sur scène pour la traditionnelle standing ovation, elle exprime publiquement son désaccord et son malaise. Elle n’a pas besoin de mots. Son absence est une prise de parole, un acte de rupture avec le réalisateur et son œuvre.
Chapitre 3 : L’Onde de Choc – Paroles, Silences et Conséquences
Le lendemain de la projection, la polémique est sur toutes les lèvres. L’onde de choc se propage bien au-delà de la Croisette.
La Conférence de Presse Surréaliste
La conférence de presse du film, le lendemain, se déroule sans Ophélie Bau. Abdellatif Kechiche, seul face aux journalistes, livre une performance confuse et agressive. Il se défend maladroitement, attaque les critiques, parle de “rejet” et de “haine”, et esquive toutes les questions précises sur le consentement de ses acteurs et le bien-être d’Ophélie. Cette conférence de presse, loin de calmer les esprits, ne fait qu’amplifier le malaise.
Le Silence Assourdissant de l’Actrice
Dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi, Ophélie Bau a choisi le silence. Un silence total et digne. Elle ne donne aucune interview, ne publie aucune déclaration. Ce silence est interprété par tous comme une confirmation de son désaccord et de sa souffrance. Il laisse un vide immense, qui est rapidement rempli par une vague de soutien sans précédent de la part du public et d’une partie de la profession.
Un Film Maudit
La polémique de Cannes a eu des conséquences fatales pour le film. Face à l’accueil glacial et au scandale, Mektoub, My Love: Intermezzo n’a jamais obtenu de visa d’exploitation en France. Il n’a jamais été distribué en salles. Le troisième et dernier volet de la trilogie, qui avait pourtant été tourné, n’a jamais vu le jour. L’œuvre est devenue un film maudit, un fantôme dans la filmographie de son réalisateur.
Chapitre 4 : La Vie d’Après – La Résilience d’Ophélie Bau (Perspective 2025)
Pour une jeune actrice, un tel scandale aurait pu être fatal. Il aurait pu la cantonner à jamais au rôle de “l’actrice de la scène choc de Kechiche”. Mais c’est sans compter sur la force et la résilience d’Ophélie Bau.
Se Reconstruire Loin de la Polémique
Après Cannes, Ophélie Bau n’a pas disparu. Elle a pris le temps de se reconstruire, loin de l’agitation médiatique. Puis, elle a repris le chemin des plateaux, mais en choisissant ses projets avec un soin méticuleux.
Des Rôles Choisis avec Soin
Sa filmographie post-Kechiche montre une volonté claire de s’orienter vers un autre type de cinéma. On la voit dans des films d’auteur exigeants comme Vaurien de Peter Dourountzis, qui a également été sélectionné à Cannes, ou dans des projets plus grand public mais toujours de qualité. Elle a prouvé par ses choix qu’elle était une actrice polyvalente et qu’elle ne se laissait pas définir par une seule expérience, aussi traumatisante soit-elle.
Une Parole Rare et Mesurée
Des années plus tard, elle a finalement accepté d’évoquer brièvement l’affaire. Ses paroles ont toujours été d’une grande mesure. Sans jamais attaquer frontalement le réalisateur, elle a parlé d’une “expérience difficile” et de la nécessité de “se protéger”. Cette communication, tout en dignité, a renforcé le respect que le public et la profession lui portent.
Un Symbole Malgré Elle
Bien qu’elle ne l’ait jamais cherché, Ophélie Bau est devenue un symbole. Son histoire a mis en lumière les dérives possibles d’un certain “cinéma d’auteur” où le génie autoproclamé du réalisateur peut parfois primer sur le respect et le bien-être de ses acteurs. Son geste silencieux à Cannes a été perçu comme un acte de courage, une affirmation de soi face à un système de pouvoir.
Conclusion
En 2025, la polémique Mektoub, My Love: Intermezzo reste une cicatrice dans l’histoire du cinéma français. Elle a servi de catalyseur à des discussions nécessaires sur les dynamiques de pouvoir sur les plateaux, sur la représentation des corps féminins à l’écran et sur la notion de consentement dans le processus créatif.
Pour Abdellatif Kechiche, cette affaire a marqué un coup d’arrêt brutal dans sa carrière. Pour Ophélie Bau, elle aurait pu être une fin. Mais grâce à sa force de caractère et à sa détermination, elle en a fait un nouveau départ. Elle a prouvé qu’elle était bien plus qu’une muse ou la victime d’un scandale. Elle est une actrice talentueuse et une femme résiliente qui a su reprendre le contrôle de son histoire. La polémique a secoué le cinéma, mais elle n’a pas brisé Ophélie Bau. Au contraire, elle a peut-être révélé sa plus grande force.

