Lorsqu’un bateau entre en collision avec une baleine, la collision est rarement remarquée au moment du contact. Parfois, l’animal se retrouve coincé sur la coque avant du bateau et l’équipage n’est pas au courant de l’incident jusqu’à ce qu’il arrive au port. Les marins voudraient pouvoir identifier les baleines en temps réel afin de réduire les collisions. L’été est arrivé à Qikiqtaaluk, ou terre de Baffin en inuktitut, avec un ours polaire, des phoques et quelques narvals. De l’eau sort une tête grise avec des taches blanches et une défense tordue. On ne le trouve que chez les narvals mâles. Même s’il captive l’imagination, cet animal marin, qui ne vit que dans l’Arctique, reste méconnu.
Cette protection est vraiment une dent qui sert à plusieurs fins. Il a été récemment découvert par des scientifiques du ministère des Pêches et des Océans Canada (MPO) qu’il serait utilisé pour la chasse, entre autres. Ils ont vu un narval utiliser sa défense pour assommer un poisson avant de le manger (Nouvelle fenêtre).
Sans surveillance aérienne, cette découverte n’aurait pas été possible. Ces photos ont été prises par un drone puis traitées par Marianne Marcoux et son équipe du MPO. Afin de mieux préserver les narvals dans l’Arctique canadien, le chercheur s’intéresse à leur répartition géographique et temporelle. Il vise également à déterminer le nombre de baleines arctiques, leur âge et l’évolution de la dynamique de leur population.
Le narval n’est vu que pendant l’été et est difficile à approcher. Des images de drones, d’avions ou de satellites sont donc nécessaires pour la recherche de ces populations.
Chaque envoi génère des dizaines de milliers de photos. Comme l’illustre Marianne Marcoux, l’examen sur le continent est long et fastidieux : détecter les baleines sur chaque photo peut prendre plusieurs minutes, voire des heures, selon le nombre de baleines à observer.
Bertrand Charry et Emily Charry Tissier, biologistes, ont récemment dénombré des centaines de narvals à la main pour évaluer leur âge, leur sexe, leur habitat essentiel et d’autres facteurs. Collaborations avec Marianne Marcoux et le World Wide Fund for Nature (WWF).
Réduisez le temps qu’il faut pour trouver une baleine.
Le couple pense qu’il doit y avoir une méthode plus efficace pour tout traverser, une approche plus rapide et plus uniforme, après des milliers d’heures passées à compter les animaux marins dans un océan d’images. Ils recherchent une technologie capable d’identifier automatiquement les baleines. Mais rien ne correspond à leurs exigences.
Ils décident alors de créer leur propre programme d’intelligence artificielle pour compter et trouver des baleines, allant du béluga au rorqual bleu, le plus gros de tous les mammifères. Ils s’associent à Antoine Gagné-Turcotte, un codeur, et co-fondent Whale Seeker (Nouvelle fenêtre).
Narval Poisson
Ils ont travaillé ensemble pour créer un algorithme capable de reconnaître une baleine sur des photos aériennes prises par drone, satellite ou avion. Ils expérimentent également des images infrarouges capturées à partir d’un bateau. Par rapport à la numérisation manuelle, la technologie offre une analyse d’image plus précise et plus rapide. Marianne Marcoux, chercheuse, peut prendre jusqu’à un an pour obtenir ses conclusions. Elle souhaiterait réduire ce temps pour garantir la survie des troupeaux de narvals puisque son travail consiste à proposer des recommandations scientifiques pour assurer une bonne gestion des populations de narvals. La chasse traditionnelle inuite et la diminution des glaces, qui favorise l’augmentation du trafic maritime et des accidents, les menacent. Elle travaille avec Whale Seeker pour combler ce besoin.
Cette technologie serait utilisée par les autorités portuaires et les navires pour prévenir les collisions, ainsi que par les compagnies pétrolières pour vérifier l’absence d’animaux marins dans la région avant de procéder à un test sismique. Il peut être utilisé par des organismes de protection de la nature ou de conseil en environnement pour effectuer des évaluations d’impact, par exemple.
Selon Emily Charry Tissier, l’algorithme sera accessible à tous sous certaines conditions éthiques : nous ne voulons pas que Whale Seeker soit utilisé pour échapper aux réglementations environnementales ou, par exemple, pour rendre les chasseurs de baleines plus efficaces.
Bertrand Charry valorise l’idée que toutes les données recueillies par Whale Seeker nous aideront à mieux comprendre les baleines, en particulier celles qui sont difficiles à atteindre dans les confins de l’Arctique.